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Plus de leur âge ! Inventer le management Y Z

Abécédaire du management. Y Z COMME GÉNÉRATIONS Y Z


Fix, alias François-Xavier Chenevat, est auteur et illustrateur spécialisé dans le dessin humoristique sur le monde de l’entreprise. Dessin extrait de Chief bullshit officer 2.0, avril 2023


La jeunesse n'existe pas disait le sociologue Pierre Bourdieu. Pourtant on parle d'elle comme si elle s'exprimait d'une seule voix. Génération offensée (Caroline Fourest, 2021), Génération sacrifiée (Stéphane Baud, Gérard Mauger, 2017) Génération fracassée (Maxime Lledo, 2021), Génération engagée (Grégoire Cazcarra, 2021)... sans compter les mode d'emploi sur comment manager cette génération !


Trentenaires (Y) et vingtenaires (Z), de quelle jeunesse parle-t-on ? Celle qui réclame du sens et de la réalisation de soi au travail ? Celle qui ne peut pas s'offrir le luxe de les revendiquer et doit se résoudre à trimer ? Celle qui accepte d'être essorée au nom de l'engagement ? Celle qui se résigne à choisir une carrière par déterminisme familial ?… Quoiqu'il en soit, on la soupçonne d'avoir un rapport au travail très...distancié. J'entends régulièrement des employeurs se plaindre du glissement de motivation des jeunes. Un procès en paresse à peine voilé qui a des airs de déjà entendu. Interrogez vos parents et vos grands parents ! Les employeurs des années 70 poussaient déjà la chansonnette de l'amour du travail qui se serait perdu (1).


A l'encontre de ce stéréotype tenace, il paraîtrait que les aspirations des jeunes générations ne sont pas si différentes de celles de leurs aînés (2), qu'au bout du compte tout le monde veut la même chose : un travail qui a du sens, qui donne la possibilité de construire sa vie, qui laisse le temps de vivre, pour enfin ne pas perdre sa vie à la gagner. Pas étonnant ! Cela fait trois décennies que ces générations sont biberonnées à la santé mentale et au bien-être, comment s'étonner qu'elles en aient fait leur mantra et manifestent une volonté de prendre soin de soi, des autres et du monde ? On leur dit qu'on peut s'épanouir hors du sacro-saint productivisme, comment s'étonner qu'elles mettent le travail à une autre place dans leur vie ?


Le problème est le décalage entre ces promesses et la réalité. Le monde du travail dans lequel s'inscrivent les jeunes générations est marqué par un management qui développe depuis 30 ans un discours « humaniste » sur l'épanouissement personnel dans le travail, l'engagement, le mérite individuel... tout en intensifiant le travail avec pour conséquence pression, burn-out et autres souffrances psychiques. Sensibilisés aux enjeux environnementaux, ils sont invités à participer à la réparation du monde. Mais, déception, la plupart, sept sur dix (3) doivent renoncer à ce critère « faute de postes appropriés en nombre suffisant ». Il y a un décalage entre aspirations et possibilités réelles. Le monde du travail produit un discours mais a du mal à fournir la réalité qui va avec.


En matière de décalage, les modes de management ne sont pas en reste. Les organisations prétendent attirer les jeunes avec la même rhétorique managériale depuis vingt ans : travail en mode agile, management fondé sur l'autonomie et la confiance... mais sans rien changer à la façon de manager. Que penser du mot collaborateur par exemple ? Véritable cache misère d'un management à la papa : fonctionnement très hiérarchique, rythmé par réunions et reporting, objectifs chiffrés et faible autonomie opérationnelle. Oui cette génération a de quoi devenir schizophrène tant le grand écart entre le catéchisme managérial et le fonctionnement réel du travail est patent.


20 ans à peine séparent les générations Y Z et celle qui les a précèdées, mais déjà c'est un autre monde. N'en déplaise à certains, l'époque est wokiste. L'argument paternaliste de la paresse des jeunes éloigne le regard de ce qui est commun à ces générations : une sensibilité plus aïgue aux inégalités, la réticence à la subordination et aux ordres verticaux, le rejet des bullshits jobs (4)... Beaucoup ont reçu une éducation responsabilisante, ont bénéficié de confiance et d'autonomie, ont pu exprimer leurs opinions, leurs besoins... et se retrouvent infantilisés dans le monde professionnel. Décidemment, ce management n'est plus de leur âge. Ils veulent participer, pas seulement valider. Au management de faire sa mue.


Christiane Rumillat

1er mars 2024


Notes

(1) Enquête du CEET centre d'études de l'emploi et du travail, en 1972

(2) Enquête européenne sur les conditions de travail (EWCS), 2024

(3) Dominique Méda, Le Monde, 27 novembre 2023. D'après une enquête Harris Interactive, octobre 2023

(4) Littéralement boulots de merde selon l'expression de l'anthropologue David Graeber dans son livre éponyme, 2018

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