Le sexe sous le tapis
Abécédaire du management. S COMME SEXE
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Le sexe au travail ©Getty - Roman Maerzinger
L'enquête d'envergure menée par l'INSERM (1) sur l'évolution des pratiques sexuelles des Français au cours des cinq dernières années nous apprend que le nombre de partenaires sexuels des français au cours de leur vie a augmenté pour toutes les générations de 18 à 69 ans. Pour les femmes, ce nombre a doublé en 30 ans, passant de 3,4 à 7,9 partenaires. Il a aussi évolué pour les hommes mais dans une bien moins grande proportion. La facilité des rencontres en ligne y est pour beaucoup. Toutefois la sexualité ne passe pas seulement par le numérique, mais surtout par le travail. C'est ce que nous montre une autre étude publiée par Tecnologia le jour de la saint Valentin 2024. Il ne sera pas dit que ce cabinet spécialisé dans la gestion des risques psychosociaux ne parle que de souffrance et de suicide au travail. L'étude est modeste par la taille de son échantillon (2) mais elle a le mérite d'être bien ancrée dans la réalité franco-française du travail.
Incubateur émotionnel
Que le sexe s'invite au travail n'est pas chose nouvelle mais les chiffres sont édifiants. L'étude nous apprend qu'une personne sur eux a déjà eu une relation amoureuse au travail. Par relation amoureuse, s'entendent aussi bien les histoires sérieuses (80%) que les histoires purement sexuelles (17%). Voilà qui apporte un peu de fraîcheur sur le front du travail. Ainsi le travail n'est pas seulement un lieu de souffrance, théatre d'injustices en tous genres, terrain de jeu des personnalités perverses, mais aussi un formidable incubateur émotionnel, un lieu de plaisir partagé et, semble-t-il, de romances pérennes.
Sexe, rumeurs et jalousie
Et pourtant. On ne peut pas ignorer l'impact parfois préjudiciable des love affair au travail sur le management au quotidien. Toujours évoqué en voix off, cet impact est bien réel. La liaison entre deux collègues qui crée des connivences et des interdits dans une équipe ; la compagne d'un élu placée à un poste de direction qui muselle l'ensemble de la ligne hiérarchique ; une idylle entre un DRH et une représentante syndicale qui s'invite un jour dans une décision organisationnelle et la fait exploser... Vous avez dit romance ? Ce mot délicat désamorce toute connotation toxique. Or les romances sont aussi sources de rumeurs et de jalousies, capables de ravager le climat relationnel, compromettre l'efficacité, laissant au passage le manager désemparé. Quand il est patent qu'une liaison amoureuse est responsable d'une mise à l'écart, d'un manque d'équité ou d'un acte de favoritisme, c'est la notion de justice organisationnelle qui est mise à mal. On légifére à grand bruit pour lutter contre les agissements sexistes, MeToo oblige, mais pour ce qui est du « fait amoureux » comme disent les sociologues, on est plutôt dans l'évitement. Le management français semble considèrer que la relation amoureuse est une affaire personnelle qui ne regarde pas la hiérarchie. Elle est mise sous le tapis.
Love contract
Des études consacrées à la romance au travail existent aussi depuis une bonne quinzaine d'années aux Etats Unis, au Canada et en Angleterre. Cela permet de voir à quel point cette question est affaire de culture. En comparaison de nos voisins américains, nous sommes très cool sur l'amour au travail. Leur corpus règlementaire est on ne peut plus clair : prohibition de la relation. Lorsque la chose arrive quand même, cadrage maximum selon un procédé qui fait frémir : les gens doivent se déclarer à leur hiérarchie et remplir un formulaire, le bien nommé love contract. Les entreprises américaines considèrent que si l'intime s'invite chez elles il doit être traité par elles. La palme répressive en matière de relation sexuelle au travail revient à la plateforme Netflix qui interdit à ses salariés un regard prolongé au delà de cinq secondes. C'est dire que ce sujet inspire une terreur paranoïaque dans les entreprises américaines.
Pudeur managériale
On trouvera ces garde-fous excessifs comme souvent ce qui nous vient d'outre-atlantique. Il y a en effet un gouffre entre ces pratiques et le refus français de la codification des relations au nom de la liberté individuelle. Nous disposons depuis 20 ans d'un arsenal juridique pour traiter les dark romances au travail (3) : les lois sur le harcèlement sexuel, les agissements et violences sexistes. Mais un silence pudique prévaut dans le management français s'agissant de la romance ordinaire. Ce n'est pas le moindre des paradoxes dans un pays marqué par des débats intenses et des événéments explosifs touchant la sexualité qui font bouger la société plus que dans n'importe quel autre pays.
Christiane Rumillat, 15 décembre 2024
Notes
(1) Institut national de la santé et de la recherche médicale, 2024. 31000 répondants
(2) Romance au travail, 2024. 1682 répondants
(3) La dark romance est un sous-genre littéraire de la romance qui met en scène des relations sexuelles violentes et maltraitantes
Les Américains sont affligeants en la matière et les Français toujours dans le déni. En même temps, on rencontre bien souvent son ou ses partenaires au travail ou alors par amis interposés ou au bal ou à la disco ou dans la salle de sports ... Il faut bien se rencontrer quelque part. Restent les passe-droits que ça implique. J'aimerais bien que ça soit une DRH qui arrange son petit ami syndicaliste et pas toujours le contraire un DRH et une syndicaliste... Il y aurait du progrès, enfin, le mieux c'est qu'il n'y ait pas de passe-droit.