Grandeur d'un loser
Un écrivain fasciné par les perdants s'intéresse au père de la pensée positive. Étienne Kern nous livre un roman passionnant et touchant. A découvrir, même si l'on n'est pas pratiquant de la méthode Coué.
Couverture du roman d'Étienne Kern, La vie meilleure, Gallimard, 2024
En 1980, année de sa mort, John Lennon dédiait une chanson à son fils Sean (Beautiful boy), dans laquelle on trouve ces paroles : Every day, in every way, it's getting better and better. C'est mot pour mot, en anglais, la devise de la méthode d'Émile Coué (1857-1926) : Tous les jours, à tous points de vue, je vais de mieux en mieux.
Père de la pensée positive
Coué. Dans l'esprit de ceux pour qui ce nom résonne, la méthode renvoie à un truc de l'enfance du genre : si je pense très fort à quelque chose, cette chose va arriver. C'est un peu ça, Coué. Dites-vous ça passe et ça passera. C'est tout ? Non, il faut répéter (je n'ai pas mal je n'ai pas mal), croire (je peux le faire je peux le faire), imaginer (je suis heureux je suis heureux). « Répétez-le vingt fois par jour, matin et soir », scandé à l'aide d'une corde à vingt nœuds, telle était l'ordonnance. Toux soulagée, jambe guérie, migraine calmée, angoisse envolée, confiance retrouvée... l'autosuggestion peut tout. Et si vous ne comprenez pas sa méthode, vous êtes des arriérés. C'est lui qui l'écrit.
Qu'est-il est resté de l'homme ? Un aimable brocardage au mieux synonyme de naïveté au pire d'aveuglement ridicule dans sa persévérance du tout va bien. Et pourtant ! Bien qu'affublé de titres peu enviables marchand de bonheur, charlatan... il est considéré comme le pére de la pensée positive. Il y a une statue à son effigie dans le parc Sainte Marie à Nancy ; on lit sur le socle « ...en reconnaissance mondiale ». Il n'a écrit qu'un seul livre en 1921, il avait 64 ans. Un livre de la maturité donc. Le style nous vient tout droit du début du XX° siècle : boursoufflé, suffisant, bourré de préjugés, simpliste. Alors bien sûr, il ne trône pas sur les étagères des thérapeutes et coaches pratiquants de la pensée positive. Pour autant, ils lui doivent l'optimisme, l'auto persuasion, la force de l'imagination, l'adaptation et surtout l'idée que notre salut en toutes choses vient de nous-même. Comme on dirait aujourd'hui nous sommes les seuls comptables de notre bien-être. Autres mots, même projet : ne rien remettre en cause sinon soi-même.
Un loser prestigieux et altruiste
Un hommage lui sera peut-être rendu dans deux ans, date anniversaire de sa mort. En attendant, un roman vient de lui être consacré, au titre simple La vie meilleure. Son auteur Étienne Kern dit avoir une tendresse particulière pour les perdants. Un perdant Emile Coué ?
Émile Coué, portrait, années 1920
Émile Coué de La Châtaigneraie, noblesse bretonne mais condition modeste, est un pharmacien de province, adepte des médecines douces. Une sorte d'anti-Homais, l'apothicaire de Flaubert dans Madame Bovary. Autant Homais est prétentieux et avide, autant Coué est modeste et altruiste. Dans son officine, il accompagne toujours les remèdes qu'il vend de paroles encourageantes. Il remarque que ceux qu'il persuade de l'efficacité d'un traitement s'en trouvent beaucoup mieux. Alors il bricole des « cachets Coué » : eau distillée, farine, sucre, colorant et un peu d'amertume pour faire illusion. « Attention, deux gouttes seulement, c'est dangereux ! ». Bref il découvre l'effet placebo, l'idée qu'avant le remède, il y a le désir de remède et le besoin de croire.
À l'heure où la psychanalyse est une institution prisée d'une élite intellectuelle aisée, Coué est un homme accessible, immédiatement compréhensible, modeste par ses origines. Il reçoit tout le monde, accepte tout, des idées noires à la peau qui gratte, et surtout il ne se fait pas payer. Il ne fait de l'ombre à personne, en tous cas pas aux médecins.
Professeur d'optimisme
Le pouvoir de l'imagination, il n'a que ça à la bouche : s'imaginer qu'on est au mieux, s'imaginer qu'on est exactement où l'on désire être... Il invente un verbe : s'autosuggestionner. C'est à peu près sa seule création conceptuelle. Longtemps il se cherche un titre. N'étant pas docteur, il se présente comme professeur d'optimisme. Cela paraît désuet mais ne devrait pas faire sourire les professionnels des ressources humaines qui aujourd'hui endossent la fonction de Responsable du bonheur (CHO, chief happiness officer).
Il n'arrête pas, enchaîne les séances de guérison, la demande est importante. Il veut sauver sauver, c'est son mantra, son obsession. Il consigne ses petits sauvetages victorieux dans un cahier : « Mme Petitmangin, oeil gauche considéré comme perdu, amélioration progressive ; Jeanne, huit ans et demi, faisait chaque jour dans son lit, amélioration ; neurasthénie, état moral rendu excellent... » Et si c'est lui qui avait besoin de ces êtres sauvés ? demande Étienne Kern. Bonne question.
Son besoin de reconnaissance est abyssal, dont le ressort est la relation au père, le sombre Exupère Coué de La châtaigneraie. Un patronyme incroyable comme on n'en trouve plus que dans les romans d'Amélie Nothomb, et un nom à particule qui alimente l'amertume de ce père devenu employé aux chemins de fer. Son attente vis à vis d'Émile, fils unique, est forte. Comment satisfaire ce père qui le traite de charlatan, lui oppose le déshonneur, le ridicule, la déception... On s'effondrerait à moins, Émile Coué non. Au contraire, il se dit qu'il se doit de réussir. Il a la méthode pour ça.
De la race de sauveurs
Étienne Kern, photo Francesca Mantovani ©, 2021
Étienne Kern fait de son personnage un homme doux, gentillet, gentiment mégalo, plein d'une arrogance naïve, qui choisit invariablement le verre à moitié plein. Son roman est chargé d'un sentiment de proximité pour son sujet, au point de mêler à l'histoire de Coué une part de sa propre histoire, un drame personnel. Lui aussi fait partie de la race des sauveurs dont il a partagé l'obsession : soulager la souffrance.
Émile Coué est un sauveur nec plus ultra. Désintéressé, aconflictuel, imperméable aux critiques. Aux objecteurs et polémiqueurs il répond vous avez sans doute raison. Débattre ne l'intéresse pas, il a une mission. Il veut seulement que sa méthode soit répandue le plus possible car suivie à la lettre (…) elle changera le monde, redressera la nation, nous rendra plus fort et plus heureux, favorisera une régénération morale, ramènera les criminels dans le droit chemin...et permettra d'arracher les dents sans anesthésie.
Il bénéficie d'un contexte accueillant pour ce genre d'approche. Le pays est dévasté par la guerre. La demande de bonheur est importante. La méthode décolle grâce à la guerre, à cause de la guerre. Grands blessés, incurables, anxieux, insomniaques...ils veulent tous la même chose : aller mieux, avoir une vie meilleure.
Publié à compte d'auteur, son manuel (1) est traduit partout et mondialement connu trois ans après sa parution. Coué est une star. Les journaux parlent de ses miracles, il a des disciples, des instituts sont créés. Il est à la mode dans la France des années folles, bien moins compliqué que le docteur Freud. Et puis c'est français ! Sacré parcours avant de plonger dans la dérision, voué au Coué-bashing.
Quand plus rien ne soigne...
Dans les dernières années de sa vie, au faîte de sa gloire, inondé d'invitations prestigieuses, il saute d'un bateau à un autre ; aux États-Unis on l'appelle the miracle man. L'homme dégage comme une odeur de sainteté. On veut le voir, l'approcher, le toucher. Quel paradoxe ! Lui qui a défendu toute sa vie l'idée que le bonheur est en soi, il en devient l'incarnation. Pas étonnant au fond : n'a-t-on pas besoin d'un peu d'altérité pour aller mieux ? Les patients que Coué a soignés avec sa méthode n'ont-ils pas guéris aussi grâce à l'attention et l'intérêt qu'il leur portait ? Quand plus rien ne soigne, il y a certes l'autosuggestion et les pensées positives, mais surtout l'attention et le regard d'un autre que soi.
Christiane Rumillat, 22 septembre 2024
Note
(1) La maîtrise de soi-même par l'autosuggestion consciente, 1921
Belle conclusion, Christiane, finalement c'est le regard de bienveillance et l'écoute que l'autre porte sur nous qui nous sauvent. Je ne connaissais pas l'histoire de son auteur mais seulement la méthode. Tu le restitué de manière très vivante