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Consultant XXL

  • christianerumillat
  • 9 oct.
  • 5 min de lecture

Ils se ressemblent tous, on les repère à cent mètres, ils gouvernent le monde en société secrète

(David Naïm, Le consultant, éditions Goutte d'Or, 2025)


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Dubaï, émirats arabes unis, image générée par l'IA


Il saute de challenge en challenge, toujours en mode charrette. Telle « une chaussette dans une machine à laver, il se jette dans le tambour du capitalisme le lundi matin pour en ressortir rincé et essoré cinq jours plus tard ». Qui est-il ? Le consultant (2025). L'auteur, David Naïm sait de quoi il parle. Il est lui-même associé dans un des plus gros cabinets conseil du monde. Le consultant format XXL de son roman, c'est lui. Il nous en livre une impitoyable et jubilatoire satire.


Juste le ciboulot

Il aime ce métier, cela transpire à toutes les pages, l’enchaînement incessant des missions, les livrables à produire dans des délais ultra serrés. Tel un hamster dans sa roue, il ne s’arrête jamais. Sans possibilité de réflexion, ni de recul. Un comble pour des gens qui coûtent un bras !


« La journée de Simon était découpée en tranches de trente minutes au cours desquelles il devait donner, via Zoom ou dans une salle de réunion, des instructions et des baffes sur des dizaines de sujets différents (…). Il fallait faire preuve d’un maximum de concentration pour piger en quelques secondes ce qui se tramait, donner les directives et s’accorder sur les plans d’action. Après quoi il raccrochait et passait à l’appel suivant ».


Etanche au burn-out ? Même pas. On comprend que c'est un syndrome banalisé dans ce milieu. Simon « fait » son burn-out comme un nourrisson fait ses dents. Il revient six mois après, comme de rien n'était. C'est d'ailleurs fascinant cette souffrance consentie jusqu'à l'effacement de soi, comme si le corps n'existait pas. Notre héros se souvient quand tout a commencé, son coup de cœur quand il rencontre des consultants sur le stand d'un forum HEC.


« Des types impassibles attendaient la fraîche élite. Tous portaient des costumes à la coupe impeccable, cintrés sans épaulettes, qui mettaient en valeur leur absence de carrure, qui la revendiquaient. Plus que des costards, un manifeste pour le secteur tertiaire. Nous sommes le glorieux futur : les corps ne servent à rien, y'a plus que le ciboulot ».  Ce qui en fait, à ses yeux, un job très demanding.


Cynisme institué

Simon colle à son milieu. Il est obsédé par la compétition (« battre l’autre, c’est un réflexe, un truc de chaîne alimentaire ») et la croissance. Son ambition est de grossir - on dit se développer c'est plus chic. David Naïm aime bien dénoncer le cynisme de son milieu. Cet été, il déclarait au journal Le Monde « Si un dictateur publiait un appel d'offres pour rouvrir des goulags, nul doute qu'il se trouverait des cabinets de conseil prêts à y répondre ». Une déclaration qui met carrément mal à l'aise tant elle colle au réel : au même moment, la presse révélait les détails du projet de riviera dans la bande de Gaza : complexe immobilier de luxe en bord de mer, archipel d'îles artificielles... Il a bien fallu que des cabinets de stature internationale s'y collent (1).


David Naïm pousse très loin la caricature du consultant, un killer qui détient tous les codes de la profession. Cynisme malicieux, très monsieur je sais tout, il se décrit lui-même comme un petit con, toujours un mot blessant à la bouche, gros talent pour mettre le doigt dans ce qui fait mal, on serait tenté de dire toxique. Et comme tous les toxiques caricaturés par la litterature et le cinéma, le gars est brillantissime, méprisant et décomplexé. Il bashe tout ce qui passe. A la maison comme au travail. Il adore se payer les profs. Ses parents sont profs, sa femme est prof et il compte son salaire en kiloprofs, c'est à dire x fois le salaire d'un prof. Quant il accepte d'accompagner sa femme dans des soirées de profs, il les tâcle avec une joie mauvaise. Ca l'énerve « cette arrogance typique des enseignants, persuadés que leur culture est large alors que le plus souvent elle se limite au programme scolaire ».


Je décide donc je suis

Plus intéressant, le regard décapant qu'il pose sur les mécanismes décisionnels des grandes organisations. Ses salves ne sont pas sans rappeller celles de Nicolas Mathieu contre les restructurations entreprises (Leurs enfants après eux, 2018) et des services publics (Connemara, 2022). L'empilement des modèles sortis tout chaud des cabinets de consultant pour accroître l'efficacité, optimiser les coûts, augmenter les capacités d'investissement... La simplification, mot qui tient lieu de vision aux gestionnaires à défaut de concrétiser un scénario de futur. Enfin les réorganisations, une pure expression du pouvoir personnel (« je change l'organisation, pas pour le bien de la firme, mais parce que je le peux »). On saisit bien le message : sous l'apparente rationalité et la grande technicité des organisations, les décisions sont fondées sur des logiques tristement humaines.


Le syndrome Prada

Dans le roman, le pouvoir décisionnel se conjugue au féminin, Au sommet de l'organisation, il y a une femme, façon Miranda dans Le diable s'habille en Prada (2). Cette business-déesse s'appelle Athena. Guidée par la vanité, une susceptibilité à la limite du grotesque, elle ressemble au portrait de femme couillue qu'en fait le cinema depuis les années 80 (Isabelle Hupert (3), Demi Moore (4), Sigourney Weaver (5)...). Une façon de soutenir que le pouvoir n'est pas genré, c'est un vêtement unisexe qu'enfile avec aisance homme ou femme narcissique et sans scrupule. Elle, la big boss, « partage avec les mâles cette qualité qu’ils se réservent jalousement : l’absence complète de doutes sur ses mérites. Elle ne semble pas torturée par le fait qu’elle n’est peut-être pas à sa place. Elle y est, c’est tout ». Effrayé notre Simon ? Au contraire, Il l'admire. « Comme Mitterrand admirait Tapie, comme les riches aiment les voyous et tout le monde les serial killers. Elle est born to sell comme d’autres sont born to kill. Elle pourrait vendre des organes, du shit ou des centrales nucléaires. Elle a tout, le culot agressif, la vulgarité calculée, le dédain affiché pour la modestie, une intelligence hors norme, rapide, instinctive, opportuniste ».


Grand messe à Dubaï

Mes pages préférées sont celles qui racontent le séminaire de l'Organisation à Dubaï. David Naïm connait bien l'endroit. Il a lui-même travaillé sur la COP28 qui a eu lieu là-bas fin 2023. Là encore, son récit pourrait être drôle s'il ne collait pas tant à la réalité. La clim poussée à fond, ambiance igloo, une centaine de cadres bleus de froid écoutent un expert leur parler d'empathie et d'intelligence collective. Une scène qui fait écho au décalage observé lors du séminaire sur le climat : des centaines de participants venus en business class approuver la limitation de la hausse des températures à 1,5 °, objectif déjà impossible comme on le sait aujourd'hui. Au fronton de cette grand messe un message s'affiche partout : Ne jetez pas vos badges, nous les recyclons.


David Naïm aime dénoncer les contradictions des décideurs et des conseillers de l'ombre. Peut-être parce que lui-même est dans une contradiction permanente pas si facile à assumer : consultant actif pratiquant dans les hautes sphères du conseil, en même temps auteur d'un livre dénonciateur de leurs outrances. Est-ce pour se décharger du poids de cette contradiction qu'il cherche à rendre son personnage sympathique dans les 50 dernières pages alors qu'il s'emploie à nous le rendre antipathique sur 200 pages ? On voit Simon s'humaniser vers la fin à la faveur d'un coup dur, mais on n'y croit pas. Dommage, la chute du livre est un peu bâclée, ennuyeuse presque. Mais comment finir un pareil livre ?


Christiane Rumillat

9 octobre 2025


Notes

(1) A commencer par le très respectable Tony Blair Institute qui a planché dessus assidûment

(2) David Frankel, 2006

(3) Une femme d'affaires, Claude Chabrol, 1988

(4) Harcèlement, Barry Levinson, 1994

(5) Working girls, Mike Nichols, 1988



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