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A chacun son changement

Christiane Rumillat, 23 septembre 2019


Abécédaire du management. C COMME CHANGEMENT

Pour en parler, on peut se placer sur le terrain du changement organisationnel, je choisis de me placer sur celui du changement individuel. Oui, je confesse une certaine lassitude pour les approches qui induisent que la conduite du changement au travail est un « cauchemar » potentiel qui requiert du manager pédagogie et gestion des résistances, repérage des alliés et des non alignés, stimulation participative, sécurisation du non négociable, etc.


Le regard change, le modèle reste

Respect toutefois pour ce modèle toujours opérationnel mis en formule par Gleicher dans les années 60, promu dans les années 70 par Beckhard et Harris et relooké par Dannemiller dans les années 90. Comme tout modèle, il repose sur des postulats : résistance au changement (perçue comme un obstacle à la réussite) ; démarche participative (forcément galvanisante) ; carottes managériales pour stimuler l'implication (une personne n'adhère au changement que si elle a quelque chose à y gagner)... postulats, donc, qu'il serait intéressant d'interroger (une autre fois) un demi-siècle plus tard. Car le regard sur le changement change lui aussi.


Mode inversé

Il y a des modes on le sait dans la façon d'aborder le changement : par exemple, il fut un temps où ils étaient rédhibitoires dans un CV : trop de changements vous faisaient soupçonner d'instabilité. Aujourd'hui, on vient vous gratter la coulpe : 10 ans au même endroit ? Le soupçon est en mode inversé : la tendance, c'est de faire le tour de son poste en 2 ans et d'être en mode projet la troisième année.


Changez de Kelton

Etre capable de remettre en question sa vie lorsque celle-ci est frappée du sceau de l'infâme routine, se construire une identité dans l'infini des identités disponibles... Serait-on revenu à l'ère Kelton ? Vous vous souvenez, si vous avez plus de 50 ans, du slogan dans la pub pour les montres Vous vous changez, changez de Kelton, au début des années 70 ? Ce qui signifiait, de manière à peine subliminale, vous avez plusieurs personnalités, à vous de les révéler ! Message révolutionnaire à l'époque des carrières toutes tracées et d'une génération davantage versée dans le culte de la fidélité que dans la découverte de ses potentiels.


Bullshit jobs

Aujourd'hui, le changement est une démarche individuelle valorisée. Montrez que vous êtes l'entrepreneur de votre vie ! D'ailleurs on vous le dit : le manque de sens, d'intérêt ou d'utilité engendre une nouvelle forme d'aliénation dans le travail qui amène à un effondrement de l’estime de soi et frustre gravement la soif de sens et d’épanouissement de tout un chacun, tels les Bullshit jobs (littéralement « jobs à la con »), fustigés par David Graeber dans son désormais célèbre livre (2018).


Quand ça ne va plus, il faut partir

Toujours à l'affût de nouvelles parts à conquérir sur le marché de la restauration narcissique, le développement personnel surfe sur cette tendance prometteuse. Des ateliers accueillent ceux qui en ont ras le bol, l'identité ébranlée par le manque de sens et de temps. Switchez votre vie professionnelle, comme vous y invite le Cabinet Switch Collective. Nous sommes coupables de nous endormir sur notre matelas de compétences, de mener une vie sans passion, fondée sur la gestion de l'ordinaire. N'acceptez pas la routine, cueillez dès aujourd'hui... ! A grands coups d'injonctions positives censées vous mettre le pêchon (« quand ça ne va plus, il faut partir »), les participants sont invités à se poser la question du sens de leur vie en se mettant en mode projet : écoutez votre « enfant intérieur », rapprochez-vous de vous-même, construisez votre boussole...


Jamais sans ma boussole

Cette tendance à être un entrepreneur de soi-même influence-t-elle la façon dont nous appréhendons les changements organisationnels ? Probablement. Car si nous faisons du changement pour nous-même un objet de désirabilité sociale, on peut penser que le travail du manager en sera facilité, qu'il sera moins confronté, dans son pilotage du changement, à des désirs de statu quo de ses collaborateurs qu'à leur besoin d'être acteur... sous réserve qu'il ne se sépare jamais de sa boussole.



Christiane Rumillat, 23 septembre 2019


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